BOISÉS

Au cours de l’été 2016, l’équipe de CIME Haut-Richelieu a réalisé des inventaires botaniques dans 12 boisés de la municipalité d’Henryville dans le but de dresser un portrait des forêts de ce territoire. Il nous fait plaisir de vous présenter le compte rendu de ces travaux et une description des éléments d’intérêt qui ont été observés.

Portrait général

Sur le territoire d’Henryville, les forêts occupent moins de 12 % de la superficie. Les boisés résiduels sont souvent de petite taille et éloignés les uns des autres, on parle alors d’habitat fragmenté. Les animaux et les plantes voyagent difficilement de l’un à l’autre et les communautés se retrouvent isolées. La diversité génétique diminue, pouvant entraîner des conséquences très dommageables pour les espèces.

La présence de la rivière du Sud dans la municipalité d’Henryville amène une composition de peuplements unique par rapport aux autres municipalités de la région. Ce long cours d’eau calme permet le maintien de grandes superficies humides. En Montérégie, le peuplement le plus commun est l’érablière à érable rouge, alors qu’à Henryville, c’est l’érablière à érable argenté qui domine, couvrant 46 % de la superficie des milieux inventoriés. Les érablières à érable argenté sont essentiellement des marécages de bord de rivière, adaptées aux inondations saisonnières. Les autres milieux naturels dominants sur le territoire de la municipalité sont les marais (18 %) et les érablières à érable rouge (13 %). Plus du tiers des peuplements inventoriés sont âgés de plus de 50 ans; il s’agit donc d’une forêt mature, ce qui est plutôt exceptionnel dans la région. Cela s’explique probablement par la nature très humide de plusieurs boisés, ce qui les rend peu propices à l’agriculture et à toute forme d’exploitation.

Les éléments d’intérêt écologique

Au niveau de la flore, 19 espèces en péril ont été répertoriées. De belles trouvailles ont été faites, soit des populations de carex faux-lupulina et de jonc à tépales acuminés. Ces deux espèces, d’une extrême rareté, sont désignées menacées au Québec; le carex faux-lupulina est aussi considéré en voie de disparition au Canada. Parmi les autres espèces recensées, toutes susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables au Québec, on retrouve le caryer ovale et le chêne bicolore. Ce dernier est abondant à Henryville, mais rare dans le reste de la province. Malheureusement, plusieurs espèces exotiques envahissantes ont aussi été observées dans les boisés, notamment le nerprun bourdaine et la renouée japonaise. Ces plantes sont particulièrement agressives et il serait primordial de contrôler leur expansion. Quant aux nombreux milieux humides, ils sont sans aucun doute utilisés par les amphibiens pour s’alimenter et se reproduire, bien que ces derniers n’aient fait l’objet d’aucune recherche particulière. Plusieurs espèces de salamandres et de grenouilles ont besoin de ces habitats pour compléter leur cycle de vie et assurer le maintien de leurs populations.

Des forêts à protéger

Depuis quelques années, on reconnaît aux écosystèmes une valeur économique liée aux services qu’ils nous rendent, on parle de plus en plus de services écologiques. Parmi les bienfaits que nous procurent les forêts, on pense bien sûr à la variété d’habitats pour la faune et la flore qui contribuent à la richesse de notre biodiversité. Les forêts nous fournissent aussi des services d’épuration de l’air en rejetant de l’oxygène dans l’atmosphère et en captant du CO2, un gaz à effet de serre. Elles régularisent le régime des eaux en agissant comme des éponges, absorbant l’eau lors de pluies abondantes, puis la libérant doucement par la suite. Elles protègent les sols contre l’érosion et apportent ombre et fraîcheur. Enfin, les forêts sont des lieux fréquentés pour des activités récréatives, comme l’observation des oiseaux, la chasse, la photographie et la randonnée pédestre. Nos forêts sont indispensables en raison de leurs rôles écologique, économique, récréatif, scientifique, alimentaire, médicinal, culturel et social.

Dans le Haut-Richelieu, les forêts ne représentent plus que 11 % du territoire et ne cessent de perdre du terrain. Il serait donc souhaitable que le maximum de couvert forestier résiduel soit conservé. En tant que propriétaire d’une parcelle de ce boisé, vous pouvez participer à la protection de ce milieu. Protéger votre forêt ne signifie pas n’en faire aucun usage. Il s’agit simplement de planifier vos activités en tenant compte de la présence des éléments sensibles sur votre propriété, comme les milieux humides, les espèces en péril et les peuplements âgés.

Synthèse des résultats

Les données récoltées ont permis de tracer le portrait de treize boisés totalisant une superficie de 708 ha; douze boisés (342 ha) ont été caractérisés durant l’été 2016 dans le cadre du projet et un treizième boisé avait fait l’objet d’inventaires entre 2003 et 2015. Dans les boisés inventoriés, ce sont les érablières à érable argenté qui dominent avec 46 % du couvert forestier; essentiellement dans les deux plus grands boisés de la municipalité situés en bande riveraine (717 et 731). Viennent ensuite les marais (18 %), les érablières à érable rouge (13 %), les érablières à érable à sucre (5,1 %), les frênaies (4,4 %), les marécages ouverts (3,5%), les peuplements résineux (3,2 %), les hêtraies (2,8 %), les chênaies (1,6 %) et avec chacune moins de 1 %, la peupleraie, la saulaie et l’aulnaie. Si on exclut les superficies occupées par les boisés riverains, le portait des milieux forestiers à l’intérieur des terres change : ce sont alors les érablières à érable rouge (39,3 %) qui dominent, suivies des érablières à érable à sucre (16,6 %), des frênaies (14,6 %), des peuplements résineux (10,6 %) et des hêtraies (9,1%). Selon l’Agence forestière de la Montérégie (AFM, 2007), la composition de la forêt naturelle de la Montérégie s’établit comme suit : 27,4 % d’érable rouge, 17,5 % d’érable à sucre, 7,5 % de peupliers et 4,5 % de bouleaux. Quant aux résineux, toutes espèces confondues, ils représentent 22, 8 % de la forêt montérégienne. On voit donc qu’en comparaison avec la répartition des essences de la forêt montérégienne, l’érable rouge est surreprésenté (39 %; 27%) au détriment des peuplements résineux (10,6 %; 23 %) dans les boisés inventoriés situés à l’intérieur des terres.

En se basant sur la procédure d’analyse de la végétation du Guide d’identification et de délimitation des milieux humides du Québec méridional (Bazoge et al., 2014), 37 peuplements, représentant plus de 75 % de la superficie des boisés ciblés (550,5 ha), ont été identifiés comme humides au point d’observation; ce sont évidemment les grands marécages des boisés 717 et 731 qui contribuent à cette grande proportion de milieux humides sur le territoire. Trois peuplements n’ont pu être classés (19,19 ha) du fait que le ratio d’espèces indicatrices/espèces non-indicatrices était de 1/1. Des analyses supplémentaires seraient donc requises pour statuer sur la nature exacte du mileu. Finalement, 18 peuplements ont été identifiés comme milieu terrestre. Il est important de préciser que les travaux de caractérisation ne visaient pas la délimitation des milieux humides. Advenant qu’un projet implique des travaux dans un des milieux humides identifiés, il reviendra au promoteur de fournir l’information nécessaire à une demande d’autorisation auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC).

Dix-sept espèces de plantes à statut précaire ont été répertoriées dans les treize boisés ciblés, essentiellement des espèces , à l’exception du carex faux-lupulina, désigné en voie de disparition au Canada et menacé au Québec, et du noyer cendré, considéré en voie de disparition au Canada.

L’espèce la plus souvent observée est le caryer ovale, présent dans huit boisés; bien qu’il soit relativement abondant dans le Haut-Richelieu, le caryer ovale demeure rare à l’échelle du Québec. Le chêne bicolore a été recensé dans cinq boisés; il s’agit d’une espèce qui tolère bien les inondations printanières et qui est fréquente dans le Haut-Richelieu le long de la rivière du Sud et du Richelieu. Le noyer cendré a été répertorié dans quatre boisés; précisons que son statut au Canada est attribuable au déclin important de son effectif causé par un chancre très virulent qui décime les populations. Le carex de Swan, le carex folliculé et la zizanie aquatique ont été recensés dans trois boisés, alors que la woodwardie de Virginie et la renouée à feuille d’arum l’ont été dans deux boisés. Finalement, neuf espèces sont présentes dans seulement un boisé : le carex à gaine tronquée, le carex faux-lupulina, l’hédéoma faux-pouliot, le jonc de Torrey, le lycope de Virginie, la lysimaque hybride, la platanthère à gorge tuberculée variété petite herbe, la renoncule à éventails et la wolffie boréale. Toutes les espèces à statut répertoriées ont une préférence pour les milieux humides, marais, marécages, tourbières boisées ou prairies humides, à l’exception du caryer ovale, du noyer cendré et de l’hédéoma faux-pouliot. Plusieurs mentions de l’été 2016 constituent de nouvelles occurrences. Parmi les plus remarquables, la découverte de 300 plants d’hédéoma faux-pouliot, dont on ne connaissait que trois occurrences, du carex à gaine tronqué et du jonc de Torrey, pour lesquels seulement quatre occurrences étaient connues. À noter que ces trois espèces ont toutes été observées dans le boisé 711, ce qui en fait un site très intéressant pour la conservation. Quelques-unes des espèces à statut sont en fait assez rares au Québec, puisqu’elles sont connues dans moins de 20 endroits (Tardif et al., 2016); il s’agit de la lysimaque hybride (8), la renouée à feuille d’arum (10), la platanthère à gorge tuberculée variété petite herbe (11) et le carex de Swan (14). Quant au carex faux-lupulina présent dans le boisé 717, l’occurrence était déjà répertoriée. Cette espèce est très rare au Canada et les seules populations connues au Québec se trouvent le long de la rivière Richelieu et sur l’Île de Carillon, dans la rivière des Outaouais. Le carex faux-lupulina fait l’objet d’un programme de rétablissement et d’un plan d’action conformément à la Loi sur les espèces en péril du Canada. Une équipe de rétablissement assure ainsi le suivi des populations.

Dix espèces exotiques envahissantes ont été répertoriées lors des travaux d’inventaire. La plus fréquemment observée est  le phragmite commun (6 boisés), suivi du nerprun cathartique (4 boisés), de la salicaire pourpre (3 boisés), de l’alpiste roseau et du butome à ombelle (2 boisés). Cinq espèces ont été recensées dans un seul boisé : la châtaigne d’eau, l’hydrocharide grenouillette, la lysimaque nummulaire, le nerprun bourdaine et la renouée du Japon. Dans cinq des treize boisés inventoriés, aucune espèce exotique envahissante n’a été aperçue. La châtaigne d’eau et l’hydrocaride, recensées dans le marais du boisé 717, sont des plantes aquatiques flottantes, elles n’ont donc pas le potentiel de coloniser les milieux forestiers. À noter que des travaux de contrôle de la châtaigne d’eau ont cours depuis le début des années 2000 dans la rivière du Sud et le Richelieu. L’alpiste roseau, le phragmite commun, la salicaire pourpe et le butome à ombelle sont des espèces de milieux humides largement répandues au Québec, de telle sorte qu’elles ne font pas l’objet de mesures de gestion, sauf parfois dans le cadre de projets de restauration de sites. Quant aux nerpruns et à la renouée du Japon, ce sont des espèces très agressives qui menacent l’intégrité des milieux forestiers. Comme il semble s’agir d’introductions plutôt récentes, des actions pour contrôler l’expansion de ces espèces seraient souhaitables. En ce qui concerne la lysimaque nummulaire, il existe peu d’information sur sa situation, mais elle ne semble pas être aussi agressive que les espèces précédemment décrites.

Cinq boisés ont une forte, ou très forte valeur de conservation et douze autres ont une bonne valeur de conservation. Les autres boisés ont une valeur de conservation considérée comme faible à modérée.

Quatre des cinq premiers boisés ayant la plus grande valeur écologique sont ceux qui bordent la rivière du Sud et le Richelieu. Cela s’explique par leur grande superficie et la présence de plusieurs espèces floristiques à statut précaire. Ces boisés constituent donc d’importants réservoirs de biodiversité pour la région, tant pour la flore que pour la faune, puisque trois aires de concentration d’oiseaux aquatiques et un habitat faunique y sont répertoriés par le gouvernement du Québec. Le boisé qui occupe la 4e position est un grand boisé à l’intérieur des terres (95 ha) offrant une belle diversité d’habitats et abritant huit espèces à statut précaire. On y retrouve également deux peuplements peu communs dans la région, soit l’aulnaie à thuya occidental et le marécage à bleuet en corymbe. Quant au 5e boisé, il a été conservé dans le classement, même s’il est situé en grande partie sur le territoire de la municipalité de Saint-Georges-de-Clarenceville et qu’il n’a pas été visité en 2016.

Les douze autre boisés se retrouvent dans la 2e classe de priorité, soit une bonne valeur de conservation.

Conclusion

L’exercice de priorisation des boisés se veut un outil d’aide à la prise de décision pour la mise en place d’actions ou de projets de conservation. Elle doit toutefois être mise en perspective dans le contexte local et régional, où le couvert forestier occupe à peine 10,04 % du territoire de la municipalité d’Henryville et 11,08 % de celui de la MRC du Haut-Richelieu.

L’objectif du gouvernement du Québec en matière d’aires protégées est fixé à 17 % du territoire pour 2020. Ainsi, même en protégeant toutes les forêts de la municipalité, il ne serait pas possible d’atteindre cet objectif. Cette donnée permet de mesurer l’ampleur du « déficit » de forêts dans la région. Dans ce contexte, tous les boisés résiduels sont importants dans la trame régionale et leur maintien devrait être privilégié. Précisons que le maintien de ces forêts peut se faire tout en y pratiquant des activités économiques, comme l’acériculture, ou récréatives, comme la randonnée pédestre. Toutefois, les éléments sensibles, comme les espèces à statut précaire, les milieux humides et les peuplements rares, devraient être protégés. Des objectifs de reboisement devraient aussi être considérés, particulièrement pour rétablir la connectivité entre les forêts. La découverte de dix-sept espèces floristiques à statut précaire indique que, bien que le territoire soit très fragmenté, il subsiste encore de beaux échantillons de la biodiversité du sud du Québec. Rappelons que la biodiversité est composée de trois éléments : la diversité des espèces, la diversité des caractères génétiques des espèces et la diversité des écosystèmes. Le rétablissement de liens entre les boisés favoriserait les échanges génétiques entre les populations et la dispersion des espèces, notamment pour les plantes, dont les populations sont confinées dans de petits boisés, de plus en plus isolés les uns des autres.